Milieux, Êtres et Territoire de l’Arc JURAssien.
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Le "cercle littéraire éclaté" de Mêta Jura

 

 

Nos lectures préférées de 2023

 

Comme chaque année, notre dernière rencontre (le troisième jeudi du mois de décembre, soit le 21) a été consacrée à un tour de table où les membres de Mêta Jura, qui ont bien voulu se prêter au jeu, présentent un ou plusieurs ouvrages qui ont retenu leur attention au cours de l'année. Ces présentations ont débouché sur des débats parfois bien animés.

Chacune et chacun s'est ensuite investi pour rédiger un court résumé du ou des ouvrages présentés, souvent accompagnés de quelques lignes expliquant ce qui a déterminé leur choix personnel. Tout cela est présenté ci-dessous, dans l'ordre alphabétique des participants. Merci à elles et eux !

 

 

 

 


Veiller sur elle

Jean-Baptiste Andréa

Paris, éd. L’Iconoclaste, 2023, 580 p.

 

L’histoire commence en 1986 dans un couvent italien, où Michelangelo Vitaliani, dit Mimo vit ses derniers jours. Enfermé là depuis 40 ans, il veille sur elle.

C’est au début, un récit à la troisième personne puis en suit un autre à la 1ère personne retraçant la vie de Mimo.

L’histoire fait ainsi des allers-retours entre cette fin de vie d’un artiste et son parcours dans l’entre-deux guerres en Italie, chacun des récits s’éclairant mutuellement.

Né dans une famille pauvre et de petite taille, Mimo est envoyé jeune chez un oncle à Pietra d’Alba pour y apprendre la sculpture. C’est à Pietra d’Alba qu’il fait la connaissance de Viola, sa « jumelle cosmique » ; elle est l’unique fille de la famille Orsini, famille puissante et influente.

Tout les oppose, mais une profonde amitié s’installe entre eux, même lorsqu’ils seront éloignés l’un de l’autre.

Viola, très ambitieuse fera l’éducation de Mimo au cours de leurs rencontres à travers des livres scientifiques, sur les arts…empruntés dans la bibliothèque de son père et que Mimo absorbe.

Très vite, Mimo se montre très talentueux dans l’art de la sculpture. Il part pour Florence, puis Rome et devient un sculpteur de renom. Il fréquente ainsi les grands de la société italienne de l’époque dont le frère ainé de Viola, partisan de Mussolini, et l’autre frère, ecclésiastique au Vatican.

Son entrée dans cette société est une vengeance sur sa condition physique.

Viola, de son côté, malgré ses ambitions, devra se plier aux règles de cette grande société et subira sa condition de femme soumise.

Mimo, bien qu’ayant son atelier à Rome, revient régulièrement à Pietra d’Alba et retrouve Viola.

Ses œuvres font beaucoup parler tant elles paraissent vivantes.

On ne saura qu’à la fin du roman quelle est l’œuvre sur laquelle il veille et pourquoi.

 

L’attribution du Goncourt à ce roman a soulevé quelques critiques, certains le considérant comme de la littérature populaire.

Chantal Berthet-Bondet

 

 

Le Bug humain, pourquoi notre cerveau nous pousse à détruire la planète et comment l'en empêcher (essai)

Sébastien Bohler

Paris, éd R. Laffont, 2019, 288 p.

 

L'auteur analyse la crise écologique à travers les neurosciences. Les processus de destruction de l'environnement s’expliquerait en grande partie par des mécanismes cérébraux archaïques : le striatum, notamment, et les circuits neuronaux de récompense, qui par le biais de la dopamine, incitent l'homme à assouvir continuellement et exponentiellement cinq besoins fondamentaux : manger, se reproduire, asseoir son pouvoir, acquérir de l'information et fournir le moindre effort.

L'auteur évoque ensuite le rôle du cortex préfrontal, qui permet au contraire au cerveau de planifier, prendre du recul par rapport à ces injonctions de l'instant. Ce qui lui permet d'exposer les possibles contrepoids à ces déterminismes : l'éducation.

Cette thèse est contestée par certains auteurs mais validée par la Société française de neurologie et la Revue neurologique.

L'auteur est plus nuancé à la fin du livre. Il évoque l'influence d'autres mécanismes biologiques, le poids de la socialisation, de l'éducation, des normes etc., et liste des « moyens de [...] freiner » ou de contrecarrer l'action du striatum. Il s'éloigne ainsi d'un « déterminisme simpliste ». Par exemple, une éducation plus altruiste dès l'enfance pourrait expliquer les comportements plus altruistes chez les femmes par rapport aux hommes.

Dans un article du Monde, Sébastien Bohler et le psychologue Thierry Ripoll mettent en garde contre une opposition artificielle entre sciences sociales et neurosciences, qui serait préjudiciable à une compréhension globale du problème reliant l’homme à son environnement.

J'ai été vraiment intéressé par ce livre. Je me suis construit intellectuellement dans les années 70. Même si, à cette époque, la publication du livre de l'éthologue Desmond Morris, « Le singe nu » avait eu un grand retentissement, on privilégiait alors la psychologie, la sociologie pour expliquer nos comportements et aussi échapper à la fatalité du gène. Certaines découvertes en neurosciences nous ramènent vers l'animal qui est en nous. J'ai hâte de lire le suivant, Striatum.

Jean Berthet-Bondet

 

 

 

Pars vite et reviens tard


Fred Vargas

Paris, éd. V. Hamy, 2001, 300 p.

 

Je viens vous présenter un genre mineur : « le polar ! ». Si l’intrigue policière est basique, le titre est important : « Pars vite et reviens tard » ; en latin : « longe fuegas et tarde redeas ».

De quoi parle-t-on ? De ce vieux mal moyenâgeux : la peste ! … avec ces semeurs, ces graisseurs, ces engraisseurs, ces 4 noirs peints sur les portes, ces bijoux offerts.

Certaines pestes restent ancrées dans nos mémoires : Marseille, 1722, tous les échevins fuient et la moitié de la population pauvre meurt. Peste de 1920, Paris, Clichy, peste des chiffonniers, les autorités cacheront ce fléau en l’appelant « maladie n°9 ».

Intéressants ces bouquins qui vous donnent envie d’en lire d’autres. Quand j’aurai du temps, je relirais bien « La Peste » de Camus.

Du temps ? Nous en avons eu : croisement d’un pangolin et d’un descendant de Mao, Monsieur Covid. Maladie inconnue, pas de quarantaine mais un confinement, les échevins actuels fuyant se confiner à la campagne ; ces spécialistes auto-proclamés avec leurs théories délirantes ; nos politiques réfléchies : le masque ne sert à rien, le masque est obligatoire ; nos héros applaudis hier, oubliés aujourd’hui.

L’adage ne dit-il pas que la vie est un éternel recommencement ?

Tout compte fait, il y a plein de réflexion dans un polar !

Bruno Coperchini


 

 

 

Les Somnambules

Essai sur l’histoire des conceptions de l’univers,

Arthur Koestler, 1959

Paris, éd. Calmann-Lévy, 1960 et éd. Les Belles Lettres, 2010 608 p.

 

« Les grandes découvertes de la Science consistent souvent à déterrer une vérité enfouie sous le monceau des préjugés traditionnels, à se dégager des culs de sac où conduit la logique formelle divorcée de la réalité, à délivrer la pensée des crocs de fer du dogme » (A. Koestler).

L’auteur trace ici le parcours incroyable qui fut celui de l’humanité avant d’arriver à ce qui est pourtant une évidence aujourd’hui, à savoir : l’héliocentrisme.

Dès l’antiquité, et en dépit d’une mythologie et d’une astrologie omni-présente, certains (Pythagore, Héraclite, Ptolémée) avaient déjà énoncé les principes de l’univers héliocentrique. S’en est suivie une période dite de « défaillance » où Platon et Aristote ont mis en place le « dogme du cercle », une théorie parfaite. Elle fut reprise par la chrétienté qui y a vu une preuve de la perfection divine. Par une certaine peur du changement, ce dogme a fait autorité et bloqué toute nouvelle recherche pendant… 1500 ans.

Il faut attendre 1473, naissance de Copernic, pour que, en tant que « mathematicus », il rédige les résultats des premiers travaux qui allaient tout révolutionner. La notion d’infini contenue implicitement dans le système de Copernic devait finalement dévorer l’espace réservé à Dieu sur les cartes de l’astronomie du Moyen-Age.

L’ouvrage dresse les biographies de tous ces grands noms : Copernic, Kepler, Tycho-Brahé, Galilée, Newton … On y voit comment ils ont tous cherché, avancé, reculé, tels des somnambules, trouvant des choses qu’ils ne cherchaient pas, se querellant avec eux-mêmes, avec la difficulté de la vie quotidienne, avec leurs pairs, avec les princes, avec les papes, jusqu’à risquer leur propre vie.

On est fasciné par toutes les péripéties vécues par l’humanité pour passer de la théorie des cercles parfaits à la théorie de la gravitation. Pour établir ce qu’il convient d’appeler une vérité scientifique.

Hélène Lacroix

 

 

 

Les dépossédés


Christophe Guilluy

Paris, Editions Flammarion, coll. Champs actuel, 2022, 204 p.

 

Les créateurs de concepts sont rares. Christophe Guilluy, géographe, a le mérite d’avoir forgé un concept décisif pour la compréhension de notre réalité contemporaine, celui de « France périphérique ». Le concept est l’outil de la connaissance rationnelle ; il permet d’éclairer un aspect du réel ; il s’inscrit dans un dispositif de pensée fait de distinctions organisées. Pour lui, c’est en posant la distinction métropole/périphérie que l’on peut entreprendre de saisir des vérités jusque-là inaperçues.

De livre en livre, il démontre le caractère opératoire de ce concept et donc la fécondité de cette approche pour le progrès de la connaissance. Il a révélé ainsi l’existence d’un ensemble populaire ignoré des approches et des statistiques antérieures, bien qu’il soit majoritaire dans notre pays. Et de livre en livre il explore ce paradoxe.

La « France périphérique » est le produit des transformations économiques sociales et culturelles des dernières décennies, donc de la mondialisation libérale. Elle se caractérise d’abord par la relégation massive et silencieuse des perdants, écartés des ensembles métropolitains par le jeu du marché immobilier et l’indifférence des classes supérieures qui les y remplacent.

Ils sont les dépossédés : « Ils subissent un éloignement géographique, social, politique et culturel ». Le livre souligne tous ces aspects. Par exemple il montre, chiffre à l’appui, comment tout le littoral français habité tend à devenir une zone inaccessible aux classes populaires, même en camping. Mais l’aspect le plus tranchant du livre concerne le travail d’invisibilisation et de dévalorisation des cultures populaires opéré depuis des décennies. Les agents en sont pour lui les nouvelles couches de la bourgeoisie urbaine qui se vivent pourtant comme écolo-progressistes. Constat cruel et implacable.

Cet ouvrage donne ainsi les clefs de compréhension les plus profondes du mouvement des gilets jaunes qui a pris au dépourvu nos gouvernants et nos experts. Il s’achève par une déclaration de confiance dans cette vertu cardinale du peuple laborieux que Georges Orwell appelait la décence commune.

A lire pour comprendre et ne pas désespérer.

René Lacroix

 

Extension du domaine du capital

 

Jean-Claude Michéa

Paris, éditions Albin Michel, 2023, 272 p.

 

« Tout ce qui bouge n’est pas rouge ».

Plus que jamais, selon J.-C. Michéa, ce vieil adage doit nous appeler à la vigilance face au flot étourdissant des nouveautés « révolutionnaires » qui nous assaillent et nous sollicitent presque quotidiennement. Pour l’auteur, philosophe qui se réfère à Marx, mais aussi à Marcel Mauss et à Georges Orwell, cette dynamique qui semble irrésistible trouve son moteur dans le développement inédit du capitalisme contemporain. Celui-ci n’affecte pas seulement les champs économiques et sociaux, mais tend à bouleverser jusqu’aux aspects les plus intimes de nos existences.

Son propos qui souligne l’unité et la cohérence ultime de toutes les transformations du monde contemporain se déploie en un propos plein de paradoxes qui éclaire d’une lumière crue les évolutions politiques des dernières décennies, les déboires et les dérives d’une pensée « progressiste » qui s’abandonne à la dangereuse séduction de toutes les innovations technologiques ou sociétales et ignore la dimension nécessairement conservatrice d’une vraie politique du peuple aujourd’hui. C’est la logique du capitalisme mondialisé et son principe d’illimitation qui tendent à effacer tous les repères, à passer toutes les bornes, à profaner le plus sacré et à noyer la part la plus respectable du passé et de la civilisation dans « les eaux glacées du calcul égoïste ».

Ce livre, composé d’une suite de courts chapitres qui s’emboitent les uns dans les autres coïncide chez l’auteur avec le choix d’une nouvelle expérience de vie personnelle. Il a décidé de quitter la métropole montpellieraine pour vivre sa retraite dans un village de la campagne landaise, un de ces lieux de la « France périphérique » où subsistent vivantes les pratiques populaires constitutives de cette « décence commune » que Georges Orwell désigne comme la vertu cardinale des sociétés libres et égalitaires.

René Lacroix

 

 

 

 

 

Si tu savais, c’est merveilleux

 

Marie-Christine Barrault

Paris, éd. Stock, 2023, 250 p.

 

Dans son 3e livre, Marie Christine Barrault donne une leçon de vie. Son appétit de vivre et de jouer, elle le puise dans la mort grâce à l’image lumineuse de sa grand-mère paternelle, mère de l’acteur Jean-Louis Barrault, ce dernier étant donc l’oncle de Marie Christine. Après avoir longtemps fixé un ailleurs qu’elle seule voyait, elle a dit à son fils : « Si tu savais, c’est merveilleux ». Puis a rendu l’âme.

 

Ces mots sont le fil rouge du livre de Marie Christine Barrault, persuadée que « Les vivants ferment les yeux des morts et les morts ouvrent les yeux des vivants ».

Elle évoque sa famille, notamment son oncle Jean-Louis Barrault, ses maris (Daniel Toscan du Plantier et Roger Vadim) et parle de sa carrière.

Un livre optimiste qui donne à certains personnages connus par la presse people une dimension humaine inattendue. Le livre d’une optimiste amoureuse de la vie.

Marie-Jeanne Roulière-Lambert

 

Une langue venue d'ailleurs (2011)


Akira Mizubayashi

Paris, Gallimard, coll. Folio, no 5520, 2013, 272 p.

 

Akira Mizubayashi est un écrivain japonais de langue française, né en 1951.

Il a découvert et est tombé amoureux de notre langue au début de ses études à l’université de Tokyo. Il a poursuivi son apprentissage à celle de Montpellier où il entame en 1973 une formation afin d'enseigner le français. Il passe ensuite trois années à Paris en tant que « pensionnaire étranger » à l'École normale supérieure de la rue d'Ulm.

Il enseigne, depuis 1989, à l'université Sophia de Tokyo et vit au Japon, mais effectue de nombreux séjours en France, accompagné de son épouse, française, et participe à des manifestations en rapport avec son pays natal, comme le festival Japon en Grandvaux.

Akira Mizubayashi écrit en français et plusieurs de ses romans ont été traduits en japonais.

Akira Mizubayashi présente ainsi son ouvrage :

« Le jour où je me suis emparé de la langue française, j'ai perdu le japonais pour toujours dans sa pureté originelle. Ma langue d'origine a perdu son statut de langue d'origine. J'ai appris à parler comme un étranger dans ma propre langue. Mon errance entre les deux langues a commencé... Je ne suis donc ni japonais ni français. Je ne cesse finalement de me rendre étranger à moi-même dans les deux langues, en allant et en revenant de l'une à l'autre, pour me sentir toujours décalé, hors de place. Mais, justement, c'est de ce lieu écarté que j’accède à la parole, c’est de ce lieu ou plutôt de ce non-lieu que j’exprime tout mon amour du français, tout mon attachement au japonais.

Je suis étranger ici et là et je le demeure. »

 

Récompenses :

            2011 : Prix du Rayonnement de la langue et de la littérature françaises, médaille de vermeil.

            2013 : Prix littéraire Richelieu de la Francophonie.

            2013 : Prix littéraire de la Société centrale canine.

            2013 : Prix littéraire 30 millions d'amis, appelé Goncourt des animaux.

            2015 : Docteur honoris causa de l'université Stendhal de Grenoble.

            2017 : Docteur honoris causa de l'université Paul-Valéry Montpellier 3

            2019 : Docteur honoris causa de l'université de Reims Champagne-Ardenne.

            2020 : prix des libraires et Prix de L'Algue d'Or pour Âme brisée

 

Bernard Leroy

 

 

 

 

 

Le café sans nom


Robert Seethaler, écrivain, acteur, scénariste

Paris, éd. Sabine Wespieser, 2023, 248 p.

 

Ce roman fait partie des livres sortis à la rentrée cette année 2023 ; il a été recommandé par plusieurs journaux et magazines, et à la radio.

Je l’ai acheté parce que l’histoire se déroule à Vienne (en Autriche), ville que nous avons visitée plusieurs fois et que nous aimons bien. L’auteur est né et a grandi à Vienne, dans le même quartier modeste où il a placé « Le Café sans Nom », c’est-à-dire entre la Taborstrasse et le Prater.

Qui est l’auteur, Robert Seethaler ? Je ne le connaissais pas mais j’ai appris qu’il avait écrit plusieurs livres à succès, dont Le Tabac Tresniek (2004).

Né à Vienne en 1966, il est également acteur et travaille aussi bien à Vienne qu’en Allemagne (Berlin, Stuttgart, Hambourg). C’est quelqu’un de solitaire qui aime l’introspection. Tous ses livres ont été traduits en français.

 

Que raconte ce livre ?

Le personnage principal, Robert Simon, connu uniquement par son nom de famille, travaille comme journalier sur le marché aux primeurs à Vienne. Tous les jours, il passe devant un café fermé qu’il rêve d’acheter. A 30 ans, et encouragé par sa logeuse, il prend le café en gérance et se met à le rénover. Il embauche Mila, une couturière qui vient d’être licenciée, comme serveuse.

Mais quel nom donner à son café ? Pour ses amis, la réponse est évidente : ce serait « Le Café Simon », mais Simon trouve cela prétentieux et préfère ne pas donner de nom du tout. Le café devient donc « Le Café sans Nom ».

La suite est une série de portraits de sa clientèle, nombreuse, car le café répond à un vrai besoin dans le quartier. A travers ces personnages, tous plus pittoresques les uns que les autres, on suit la vie du quartier avec ses joies et ses tristesses.

Le texte est bien écrit : le lecteur ne s’ennuie pas du tout. Il ressent la chaleur du lieu et l’amitié qui lie la clientèle.

Après une décennie d’exploitation, le propriétaire des lieux est obligé de vendre. Simon donne une grande fête pour la fermeture. Le lecteur est aussi triste que lui, mais Simon est usé, fatigué. Il a beaucoup donné de sa personne et il est prêt pour d’autres aventures.

Elizabeth Meuret

Sur la piste animale


Baptiste Morizot

Arles, Actes Sud, coll. Mondes sauvages, 2018, 208 p.

 

Baptiste Morizot est un philosophe et un naturaliste. Ce livre nous emmène dans un voyage à travers les forêts, les montagnes et les déserts pour comprendre la manière dont les animaux perçoivent le monde. Il met également en lumière la nécessité de renouer avec nos instincts primitifs et de repenser notre relation avec la nature.

Le livre nous fait vivre les traditions de pistage des peuples autochtones, mettant en avant leur expertise dans la compréhension des signes laissés par les animaux. Il nous plonge dans les forêts nord-américaines à la recherche des ours, ou sur la trace de la panthère des neiges. À travers ces récits B. Morizot interroge notre perception moderne de la nature et nous invite à une coexistence harmonieuse entre les humains et les autres espèces. Il aborde des thèmes tels que la communication animale, et la nécessité de préserver la biodiversité.

Baptiste Morizot à travers des observations sur le terrain et des références philosophiques nous donne une vision poétique de notre place dans le monde naturel. "Sur la piste animale" incite à une prise de conscience écologique et encourage à adopter une approche respectueuse envers les animaux, promouvant ainsi une cohabitation équilibrée et durable sur notre planète.

Alain Pierron

 

 

 

Mahmoud ou la Montée des eaux


Antoine Wauters

Lagrasse, Editions Verdier, 2021, 144 p. ou Paris, Gallimard, coll. Folio, 2023, 176 p.

 

Antoine Wauters est un écrivain belge de langue française né en 1981 dans la commune de SprimontPrix Goncourt de la nouvelle pour Le Musée des contradictions, il obtient le  Prix du Livre Inter pour 

Mahmoud ou la Montée des eaux.

Cet ouvrage raconte l’histoire de Mahmoud Elmachi, poète et enseignant syrien qui, muni de palmes et d'un tuba, plonge chaque jour dans le lac el-Assad à la recherche de ses souvenirs. Aux alentours, la guerre fait rage. Daech a pris le contrôle de la région, le barrage de Tabqa est fragilisé et l'on craint un déluge sans précédent. Mahmoud est un vieil homme qui a beaucoup perdu. Certains l'appellent le "vieux fou", d'autres le "vieux sage". Son obsession, c'est de retrouver ce qu'il a perdu : son village englouti par le lac au moment où Hafez el-Assad fait construire le barrage (début des années 70), sa première femme Leïla et leur petite fille, ainsi que sa chère Sarah, sa deuxième femme et leurs trois enfants, partis se battre contre les hommes de Bachar el-Assad. Le livre mêle l'histoire de la Syrie, ses guerres et ses blessures, à l'histoire intime de Mahmoud, un homme qui a osé dire "non" au parti baas

 et qui a choisi la voix de l'écriture et de la non-violence.

Ce livre nous donne une vision orientale de la vie en Syrie, et chahute notre perception occidentale. L’écriture de Wauters interpelle et plonge réellement dans la « vie » de ce vieil homme, avec toute la force de l’écriture.

Alain Pierron

Microcosmes, l’histoire de France à taille humaine


Yann Bouvier, texte, Eloi Chevallier, dessin

First éditions, coll. La vie en bulles, 2023, 232 p.

 

Un livre dernière minute, ou envie de cadeau pour faire plaisir, il s’agit d’une bande dessinée. Elle raconte l’histoire de France, mais avec des acteurs oubliés. Ce livre nous apporte un nouveau regard sur l’histoire, sur la manière dont on la raconte. Eclairant !

Alain Pierron

 

 

 

Une vie de riens


Michel Brignot,

Paris, éd. Complicités, 2023, 186 p.

 

Dijon, fin de la 2e guerre mondiale, entre 1944 et 1945. Récit d’une famille de 5 personnes, les parents, un fils ainé d’une vingtaine d’années et deux adolescents. L’ouvrage est conçu comme un cahier intime tenu par la mère. Jour après jour, elle décrit la déchéance sociale d’une famille entrainée dans la mouvance nazie. Le père, croyant bien faire, s’est retrouvé embrigadé dans un mouvement d’entraide organisé par les occupants. Le fils ainé profite de la situation pour faire des coups avec une bande de « miliciens » et sympathisants allemands. Après l’entrée des alliés dans la ville, on retrouvera les parents considérés comme « collabo » fusillés. Le fils ainé a disparu.

Récit simple, bien écrit, basé sur des faits réels, l’auteur mentionnant en fin d’ouvrage que la mère de famille aurait dû être sa « mamie ».

Personnellement, ce livre m’a frappé par sa réelle réalité, décrivant autre chose que les héros et hauts faits de la résistance. Suisse d’origine et ayant principalement vécu en Suisse, ce « fait divers de la guerre » m’a fait mieux comprendre à quel point les deux grandes guerres du XXe siècle ont forgé des caractéristiques culturelles très différentes entre les deux côtés du Jura. D’un côté une population encore hantée par les morts (cf. les monuments aux morts et toutes les cérémonies qui y sont liées) et les dures réalités et conflits sociaux des temps de guerre, de l’autre, un peuple considérant la « mob » (mobilisation générale) comme un temps où l’on s’est serré les coudes avec fraternité, évitant la misère et la destruction.

Mais les Suisses ne se sont-ils pas enfermés avec suffisance matérielle et morale dans une prison dorée, déconnectés du reste du monde pour de longues années ?

F. Schifferdecker

 

Frère unique


Olivier Frébourg

Paris, éd. Mercure de France, 2023, 202 p.

 

Ce livre est un bouleversant témoignage d’amour pour un frère aimé et admiré depuis l’enfance mais aussi un cri de colère et de révolte contre le démantèlement du système hospitalier publique français et la dégradation des valeurs éthiques de certains professionnels de santé.

En effet, Olivier Frébourg explique dans quelles conditions son frère, Thierry, brillant professeur de médecine et généticien au CHU de Rouen est décédé des suites d’une erreur technique au cours d’un soin qu’il recevait.( Il s’agissait de l’ablation d’un cathéter jugulaire réalisé sans encadrement médical).

L’auteur décrit les souffrances physiques brutalement endurées par son frère (en pleine conscience) ainsi que son angoisse face à la détresse respiratoire qu’il subissait avant d’être ‘’sédaté’’ en vue d’une trachéotomie. Une complication majeure entraîna son décès le lendemain de son arrivée à l’hôpital Raymond Poincaré à Garches (hôpital équipé d’un caisson hyperbare) où il y avait été transféré.

Olivier Frébourg déplore le manque de compétences de l’infirmière qui effectua le retrait du cathéter et la légèreté des procédures à respecter. Il dénonce également l’insuffisance d’empathie, de disponibilité et de soutien des médecins du service à l’égard de l’épouse de son frère au cours de ses dernières heures de vie mais aussi après son décès. Par ailleurs, il est indigné par le manque de vérité, d’humilité, et de responsabilité dont ont fait preuve la direction médicale et administrative face à la situation.

Au terme d’un combat mené avec courage et détermination par l’épouse et les deux enfants du professeur Frébourg, il a été enfin établi par des experts indépendants qu’une embolie gazeuse en lien avec l’acte réalisé était la véritable cause du décès. A ce propos, plusieurs négligences et anomalies ont été reconnues sur le plan juridique et organisationnel.

Cette mort étant qualifiée de tragédie par l’auteur, celui-ci a souhaité réhabiliter son frère et le faire connaître, lui ce héros, en partageant avec le lecteur des moments heureux de leur enfance lorsqu’ils voyageaient avec leurs parents à bord d’un cargo (entre Le Havre et Fort de France) puis lorsqu’ils se sont installés en Martinique et enfin en métropole. Enfance et adolescence insouciantes et joyeuses auprès de parents aimants et aidants ! Puis, études et brillants résultats notamment pour Thierry Fréboug qui, à dix-neuf ans, se trouvait, déjà, en troisième année de médecine avant de poursuivre, une carrière fulgurante empreinte d’un grand humanisme.

L’évocation de tableaux de maîtres et la citation de nombreux écrivains dans la partie sombre de son récit nous dévoilent les connaissances artistiques et littéraires d’Olivier Frébourg tout comme son sens de l’analyse. Nous pensons que l’art et la littérature ont été probablement un moyen de supporter sa douleur. Aujourd’hui, l’écriture de cet ouvrage est pour lui non seulement un acte libératoire et thérapeutique mais aussi citoyen.

Puisse ce témoignage éveiller les consciences de ceux qui ont la responsabilité de définir la politique sanitaire de notre pays et de ceux qui, tous secteurs confondus, en assurent et en assureront l’application avec rigueur et humanité auprès des personnes soignées dans les hôpitaux !

Chantal Thouverez

 

 

 

 

 

 

 

 

La Danseuse


Patrick Modiano

Paris, Gallimard, 2023, 96 p.

 

Je voulais parler de la danseuse de Patrick Modiano , mais je ne peux extraire ce livre de l’œuvre entière de cet auteur car il m’accompagne depuis le début des années 70.

Dès la première lecture j’ai été plongé dans ce monde mystérieux de la pérégrination dans la mémoire et les rues de boutiques obscures, de boulevards de ceinture, de quartiers perdus aux villas tristes, de la place de l’Étoile même s’il s’agit, là, de la place du côté du cœur où se trouvait l’étoile jaune qui marquait la jeune fille… comme ma mère ?

Les romans de Modiano m’ont toujours plongé dans un état de recherche intime sur ma propre vie, mes propres relations avec les êtres rencontrés dans le parcours chaotique de mon passé. 

Et c’est en fait avec la vision, distanciée, du narrateur que je regarde mon existence. 

Ainsi passent ces personnages qui ont fait notre vie.
Comment ne pas y reconnaître le furtif déplacement de la danseuse qui, lorsque ses pas quittent le sol, semble s’envoler vers une nuée où disparaissent les souvenirs d’une vie.

Alain Tournier

 

La passagère invisible

     

Maurice Carème

 

Paris, Editions A l'Enseigne de la Sirène, 1950, 172 p.

G.P Collection Super 1000, n°41, 1966, 250 pages.


 

Préalable.

J’avais acheté ce livre en 1966 (!), dans le cadre d’une collection (Editions GP Super 1000) dans laquelle on trouvait Notre-Dame de Paris, les Contes du Lundi ou le Salaire de la peur. Je l’avais choisi en particulier car le nom de l’auteur m’était, nous était, très familier : de nombreux poèmes, dont certains mis en musique, avaient jalonné notre scolarité en « primaire », y compris pour le certificat d’études.

 Récemment j’ai voulu faire de la place sur les étagères, … et je me suis rendu compte que je n’avais jamais lu cet ouvrage, dont le titre m’interpellait pourtant régulièrement quand mes yeux le croisaient.

Je me suis donc embarqué sans plus attendre et parti en voyage….

Je voulais en parler à la rencontre de fin d’année de META JURA, car, je ne dois pas me tromper, nombreux sont celles et ceux qui ont dû apprendre, lire, réciter des textes de cet auteur. C’est aussi un regard sur les (res)sources de l’écriture pratiquée par des écrivains, poètes ou musiciens qui s’enrichissent de ce qu’ils découvrent et ressentent… Précisons que cet auteur prolifique, poèmes, essais, romans et contes, s’il était de nationalité belge, a exercé en France pendant une bonne partie de sa vie…

C’est un récit de voyage – en cargo - destiné à la fois à l’écriture, diplomatique (rencontre protocolaire prévue), et touristique, au cours duquel il s’adresse à son épouse restée sur le continent européen. Embarqué le 23 août 1937, c’est bien un « Journal de bord » écrit au fil du voyage « à chaud », et non un roman écrit à posteriori.                          

On découvre que ce genre de voyage n’était pas une sinécureen particulier pour l’équipage qui nuit et jour, œuvre à la marche des machines à vapeur qui fonctionnent au charbon, et qui, aux escales, participe aux transferts de marchandises.  Pour le passager, s’il ne participe pas à la « manœuvre », s’il a une cabine particulière, le confort est tout relatif. De l’autre côté de l’Atlantique, le cargo ira d’escale en escale ; après avoir remonté l’embouchure du Mississipi, il cabotera le long de la côte Mexicaine, déchargeant ou chargeant des marchandises. Puis, à l’escale à La Havane, où il peut enfin lire un courrier de sa femme...

Le mauvais temps fait bien sûr partie du voyage… Mais le bateau poursuit sans beaucoup de répit… et le poète écrit ! A Vera Cruz, l’auteur quitte le bateau pour le train qui va le mener à Mexico. (30 septembre). Voyage invraisemblable, dans un train fait pour les rencontres, compte tenu de la longueur du voyage, et de son passage à plus de 2800 mètres d’altitude. Puis MEXICO ! L’auteur est venu rencontrer un autre poète : Orozco Munoz, et aussi bien d’autres écrivains…  Son séjour, partagé entre ses confrères, et le tourisme, lequel n’est pas loin de tourner au roman d’aventures…  Si pendant la traversée « aller » l’auteur a eu tout loisir pour murir et écrire des poèmes, ses rencontres et découvertes du Mexique se limitent à ce moment-là au « descriptif ».

Une douzaine de jours plus tard, l’écrivain repart de Tampico, et, avant d’entreprendre la traversée du retour, ce sont à nouveau des escales : Houston, Galveston, où le cargo charge de nouvelles marchandises, et quitte cette ville le 23 octobre pour arriver au Havre le 18 novembre. Le poète a alors eu tout loisir pendant cette –longue- traversée, pour écrire à nouveau poèmes ou pensées pour son épouse…

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Un langage bien sûr un peu « décalé » mais qui ne nuit pas au récit, lequel traduit bien tant la patience et la richesse que ce mode de transport (toujours possible aujourd’hui…) procure à celui ou celle qui l’emprunte...

Jean-Paul Favereau