Édith Lombardi
Paris, éditions IMAGO, 2024, 192 p.
L’auteure, psychologue clinicienne, conteuse, d’origine bisontine, a exercé dans la région lédonienne pendant plus de 20 ans auprès d'adolescents souffrant de handicaps.
Elle utilise les contes comme médiateur par rapport à la souffrance humaine.
Le conte de Barbe Bleue est un outil puissant utilisé dans l'accompagnement de femmes victimes de prédateurs, sujet oh combien d'actualité. Édith, à travers des exemples concrets, montre comment les victimes arrivent avec difficulté à se défaire de cette emprise. Longtemps intervenante à Solidarité Femmes à Besançon, Édith Lombardi a puisé dans des exemples vécus.
Son livre a été salué unanimement par la critique, et le journal Libération lui a consacré un grand article.
C'est un livre touchant humainement et il montre le chemin, parfois douloureux, de la résilience féminine, d'une belle écriture, narrative et fluide, accessible à tous.
On peut rencontrer Édith Lombardi lors de ses interventions annuelles à L'Université Ouverte à Lons.
Christophe et Michelle Picod
Jean-Paul Wattel,
Saint-Chéron, éditions unicité, 2024, 264 p.
Jean-Paul Wattel que Mêta Jura avait invité il y a 2 ans est le gardien du château du Pin depuis 2010.
La Dame du château est son premier roman. C’est une découverte dans le château qui lui a inspiré cette histoire.
Dans le roman, deux histoires se croisent : l’une au 15ème siècle, l’autre en 2018.
En 2018, Hippolyte prend ses fonctions de gardien du château du Pin ; il est chargé d’entretenir le château tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, de la surveillance et de l’accueil du public. Une étrange découverte dans la chapelle le lance dans une enquête au cours de laquelle il va rencontrer Marie, jeune bibliothécaire exubérante aux archives départementales.
En 1477, vivait au château du Pin le seigneur Hadrien de Vaudremont et sa nouvelle épouse Anne, belle jeune femme que l’on voyait souvent se promener près du château, entourée de ses 2 lévriers blancs. Dans les environs du château, se trouvait l’atelier de Maître Pierre, artisan aux multiples talents, travaillant le fer, le bois, les peaux et très apprécié dans la région. C’était également un érudit. Un jour, Maître Pierre reçoit la visite d’un émissaire du seigneur lui commandant de fabriquer une selle pour son épouse. A cette occasion, Maître Pierre sera amené à rencontrer la châtelaine…
L’histoire médiévale se déroule sur fonds de guerre entre le roi de France et les ducs de Bourgogne, avec l’attaque du château qui résistera.
Dans ce roman, l’auteur que l’on sent passionné nous décrit le château, la région et nous remémore l’histoire de la Franche-Comté.
Un livre agréable à lire. La couverture est une peinture acrylique de Jean-Paul Wattel.
Chantal Berthet-Bondet
Pierric Bailly
Paris, Ed. P.O.L, 2021, 256 p.
Pierric est un auteur jurassien né en 1982 à Champagnole ; il a vécu à la Frasnée, Poids de Fiole et Lons le Saunier.
Il a écrit divers romans dont plusieurs se déroulent dans le Jura.
2008 : Polichinelle (P.O.L)
2016 : L’Étoile du Hautacam (P.O.L) )
2017 : L'Homme des bois (P.O.L)
2020 : Les Enfants des autres (P.O.L.)
2021 : Le Roman de Jim (P.O.L.) , adapté au cinéma en 2024, par Arnaud et Jean-Marie Larrieu
2023 : La Foudre (P.O.L.)
J’ai pu lire 4 de ses livres, son écriture est particulière et nous plonge dans le mode de vie des nouvelles générations. C’est assez perturbant mais éclairant.
J’ai choisi de vous parler du « Le monde de Jim » mais les autres romans ont leur intérêt également.
L’histoire se situe dans la région de Saint Claude où notre « héros » mène une vie ordinaire.
Il va rencontrer une fille qui est déjà enceinte et va reconnaitre cet enfant dont il n’est pas le père physiologique. Il va établir une relation filiale avec cet enfant, jusqu’à ce que son père naturel revienne au sein de cette famille qui a grandi sans lui. L’accueil de ce père s’effectue dans des circonstances particulières et va remettre à plat l’amour qui s’était établi entre un « père » et son fils.
Ce roman nous interroge sur la paternité et son sens.
Alain Pierron
Wajdi Mouawad
Paris, Ed. Actes Sud, 2009, 93 p.
Auteur né le 16 octobre 1968 à Deir-el-Qamar au Liban. Il écrit des pièces de théâtre il est également metteur en scène … Il dirige le Théâtre national de la Colline à Paris depuis 2016.
Je voulais vous présenter Anima, mais finalement je trouve qu’Incendies peut être un cadeau original pour un premier livre à offrir à un ou une ado.
Ce livre, assez court en nombre de pages, est poignant par son récit. L’histoire commence à la mort d’une femme qui laisse un testament à ses enfants. Cette mère était murée dans le silence depuis des années. Cela provoquait l’indifférence de ses enfants qui étaient plus absorbés par des compétitions de boxe ou un doctorat pour la fille que par la mort de leur mère.
Sur l’insistance du notaire, la fille décide de répondre au souhait de sa mère qui était de retrouver leur père et leur frère qu’ils n’avaient pas connu. Elle part en Orient faire cette recherche et reconstitue l’histoire de sa mère. Cette mère a connu l’amour très jeune et a eu un enfant issu de cette union. Elle a dû abandonner son enfant à son grand désespoir et abandonner son amour de jeunesse.
Sa grand-mère va lui donner un conseil qu’elle va suivre « Si tu veux t'en sortir, tu dois apprendre à : lire, écrire, compter, parler et penser. » Ce sera un moment d’émancipation mais aussi ce qui va provoquer une tragédie…
Ce livre est bouleversant et nous rappelle la chance d’être dans un pays libre, sans évoquer le fond qui dévoilerait toute l’histoire…
Alain Pierron
Paris, Ed. Actes Sud, 2023, 288 p.
Romancière française née à Lyon en 1975 et ingénieur de formation, Céline Curiol a vécu plus de dix ans à New York où elle est correspondante pour Radio France et pour la BBC et effectue des travaux pour l'ONU. C'est à cette époque qu'elle commence à écrire. Depuis 2011, elle enseigne à Sciences-Po Paris, à l'École nationale supérieure des télécommunications et à l'École nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA).
En 2023-24, elle est pensionnaire à la Villa Médicis pour un an.
Ce livre nous immerge dans le marais du Vigueirat situé en Camargue :
Céline est invitée par le CEN, Conservatoire des Espaces Naturel, à vivre pendant une année une vie immersive dans un cabanon implanté dans la réserve. Elle va y séjourner à plusieurs reprises durant une année et gouter à toutes les saisons dans cette réserve. Elle va rencontrer, entre autres, les conservateurs qui entretiennent cette réserve.
Son regard nous interroge sur nos peurs face aux bruits qui nous sont étrangers et à une nature qui nous entoure. Elle nous interroge également sur ce que l’on appelle « naturel ».
Une réserve naturelle qui a besoin de l’homme pour continuer à exister en quoi est-elle naturelle ? L’invasive jussie avec ses belles fleurs jaunes est au centre du livre comme témoignage des conséquences de l’introduction d’une plante invasive dans un milieu naturel et comment l’homme essaye de palier à cet envahissement.
Après la lecture de ce livre, on regarde la nature différemment et il nous permet également d’occulter certaines de nos peurs.
Alain Pierron
T
Richard Collasse
Paris, Ed. Seuil, 2015, 400 p.
Il y a un an nous assistions pour la 1ère fois à ce cercle de lecture. Après un débat passionnant, nous étions rentrés à la maison. Il pleuvait. Dans le noir je n’arrivais pas à dormir.
Il m’attendait. Prisonnier parmi les livres de la bibliothèque. C’était un livre plus noir que noir. Je me souvenais de son titre : SEPPUKU. Son héros était digne des tragédies antiques.
Comment vivre quand ce père n’est pas « ce héros au sourire si doux ».
Comment vivre quand ce père est médecin, porte un uniforme SS et participe à un génocide.
Comment vivre quand ces souvenirs vous empêchent de grandir.
Comment vivre et où vivre quand, même dans la tombe comme pour Caïn, l’œil sera là.
Comment vivre quand on peut frapper celui qui vous traite de fils de salaud, mais que faire quand on vous traite de fils de bourreau.
Comment vivre quand on est innocent mais coupable de vivre.
Comment vivre quand on a lu ce livre et on ne peut plus dire : je ne savais pas, je n’y avais pas pensé.
Comment briser ce cercle maléfique.
Mais la réponse est dans le titre : SEPPUKU.
Il n’y a parfois rien de bon dans la tête des hommes.
Lecteur, si tu plonges dans ce livre, attends le beau temps, que les oiseaux chantent, que l’être cher te sourit, que l’apéro soit servi et que les petits enfants jouent et crient au fond du jardin.
Bruno Coperchini
Charif Majdalani
Paris, Ed. Seuil, 2007 (Ed. poche Points, 2012, 216 p.)
Charif Majdalani est un auteur libanais, également professeur de lettres françaises à l’Université St Joseph à Beyrouth.
Ce livre, « Caravansérail », est décrit par le Figaro littéraire comme « une odyssée aux couleurs des Mille et Une Nuits », ce qui est tout à fait juste.
L’auteur tient cette histoire de sa mère, au sujet de son père à elle, mais ni l’auteur, ni le lecteur, saura si cette histoire est vraie ou pas.
Cet homme, qui s’appelle Samuel Ayyad, quitte le Liban au tout début du XXe siècle, comme beaucoup de jeunes hommes à l’époque. Le voilà donc parti au Soudan où il devient « officier civil », embauché par l’armée britannique, pour servir d’intermédiaire entre elle et la population locale. Il travaille successivement avec le Major White et le Colonel Moore, qu’il suit dans leurs déplacements. Lors des soirées passées dans le désert, après le repas et pour se distraire, les militaires racontent des histoires, les unes toujours plus invraisemblables que les autres.
Plus tard, Samuel fait la connaissance de Chafic Abyad. Un jour, Chafic repère un petit palais arabe complètement délabré. Il pense que les princes dans les Etats du désert, dont les maisons sont en terre cuite ou briques, seraient éblouis par un palais en pierre, livré sur place. Il achète et démonte le palais, fait appel à une caravane de chameaux, et part dans le désert. Samuel décide de l’accompagner. Evidemment, vendre un palais est une tache moins aisée qu’ils n’escomptaient. La suite de l’histoire ne vous décevra pas !
Le style de cet auteur demande une adaptation de la part du lecteur. Il y a très peu de paragraphes, ce qui fait que le lecteur est happé par l’atmosphère et le rythme de la caravane.
Au début du livre, l’auteur a placé la citation suivante de Homer : « Il est temps maintenant que tu penses à ton retour sous le toit élevé de ta maison et dans la terre de tes pères. » Le vrai sujet du livre est peut-être ceci : quand on est jeune, on a envie de voyager, de vivre des aventures, mais, après un certain nombre d’années, on a envie de revenir au point de départ, de retrouver ses racines. La boucle sera bouclée.
J’ai beaucoup apprécié un autre livre du même auteur. « L’empereur à pied » est situé dans les montagnes du Liban. C’est l’histoire d’un homme qui y est arrivé à pied d’une provenance inconnue. Petit à petit, il réclame toutes les terres dans ces montagnes et impose une règle à ses enfants et à toutes les générations suivantes. Respecter cette règle n’est pas facile et c’est ce que raconte ce livre. Une fois de plus, l’histoire étant invraisemblable, le lecteur n’arrive pas à décider s’il doit la croire ou pas.
Charif Majdalani a reçu le prix Jean-Giono 2015 pour un autre de ses livres : « Villa des Femmes ».
Lire Charif Majdalani est un vrai dépaysement.
Elizabeth Meuret
Marc-André Selosse
Paris, Ed. Actes Sud, 2024, 448 p.
Dans cet ouvrage l’auteur écrit : "Croire en l'homme, conduit parfois à le brusquer en esprit" dit-il. Il veut peindre la réalité crue, tantôt étonnante, tantôt triste, de la nature en nous et autour de nous.
Le titre de chacun des 10 chapitres de ce livre porte une affirmation qui est biffée (les préjugés), suivi d'une autre, rectificative.
En voici quelques exemples :
●LA NATURE EST BIEN FAITE (biffé) / SURVIVE QUI PEUT, À TOUT PRIX. La nature est constituée de ce qui survit, notamment face à la sélection naturelle. Elle n'est que le produit pas toujours parfait des lois de l'évolution. Dans l'évolution, la réussite des uns cache la disparition des autres, moins bien adaptés.
Il n'y a pas de peuples premiers ; tous les peuples ont évolué en même temps, chacun dans son écosystème et sa culture propre.
Une espèce peut adopter des conduites destructrices pour l'écosystème qui lui est nécessaire, Mais les conduites culturelles sont parfois aussi retenues pour le pire chez les humains ! Ainsi le tabagisme et la consommation d'alcool ont été retenus, alors qu'ils ne sont pas bons pour les individus. Plaisirs/ bien-être à court terme sont sélectionnés. C'est vivre à l'encontre de son meilleur jugement (acrasie). Il en est ainsi avec la consommation d'énergies fossiles, dit Selosse.
●IL NOUS FAUT UNE TRANSITION (biffé) / NOTRE ÉVOLUTION CULTURELLE ET BIOLOGIQUE DOIT ETRE CONTINUE. Il ne nous suffit pas d'un saut pour atteindre une panacée ; il nous faut perpétuellement évoluer, surtout culturellement, et enchaîner les transitions élémentaires.
●VIVRE C'EST ÊTRE AUTONOME (biffé) / NOUS SOMMES AU COEUR DE DÉPENDANCES. Tous les êtres vivants dépendent les uns des autres et nous-mêmes dépendons vitalement de multiples autres espèces, hors de nous et en nous.
La méditation du réfrigérateur : cette méditation aide à comprendre que, même si vous en êtes physiquement absent vous êtes un des composants de ces écosystèmes. Ce sont les écosystèmes externes.
La vie citadine et la mondialisation limitent notre sensibilité à ces écosystèmes externes.
●L'ENTRAIDE EST UNE LOI NATURELLE (biffé) / CONSTRUISONS L'ENTRAIDE ET ENCADRONS LA COMPÉTITION.
Hélas la réalité est avant tout celle de la compétition, au coût parfois très lourd. Toutefois dans la nature comme dans nos sociétés, on peut la minimiser et, de là, bâtir des entraides.
●LA FEMME EST FAITE POUR L'HOMME et VICE-VERSA (biffé) / CONSIDÉRONS LES RACINES BIOLOGIQUES DE L'AUTRE SEXE. Les sexes mâle et femelle ont chacun leur logique évolutive, qui peut abîmer l'autre sexe. Sans nier la dimension culturelle de la sexualité humaine, comprenons les forces biologiques qui l'ont bâtie pour mieux les gérer.
Ex : il cite la coercition des femelles par les mâles, allant parfois jusqu'au viol , mais aussi la cruauté des femelles vis à vis des mâles.
●L'HOMME ET LA FEMME SONT ÉGAUX (biffé) / CONSTRUISONS UNE ÉQUITE PAR DESSUS LA DIFFÉRENCE DES SEXES. Hommes et femmes se dessinent entre similitudes et différences, dans la sexualité et bien au-delà ; les particularités féminines sont souvent moins étudiées et peu prises en compte.
L'auteur ne prétend pas ramener tout à la biologie, mais une approche utilisant l'évolution biologique enrichirait toutes les sciences sociales.
Les liens de l’homme avec la nature sont souvent invisibilisés aujourd’hui, mais n'ont jamais cessé d'exister.
M.-A. Selosse est professeur du Muséum national d'Histoire naturelle, enseigne dans plusieurs universités en France et à l'étranger. Il est éditeur de revues scientifiques internationales et auteur de plusieurs livres.
Hélène Lacroix
André Houot
Paris, Odin éditions, 2020, 262 pages
Au Salon de la bande dessinée de Cousance, j’ai découvert ce livre lors de la rencontre avec l’invité d’honneur du salon, André Houot. Cet enseignant est devenu auteur de bandes dessinées archéologiques dont le fond scientifique est assuré par des chercheurs reconnus. Il a ensuite diversifié les sujets traités, évoluant vers la science-fiction et le fantastique. Ses illustrations sont mises en couleurs avec beaucoup de finesse par sa compagne Jocelyne Charrance.
André Houot a écrit et illustré un ouvrage étonnant, Puissant cheval était son nom. On y retrouve son intérêt pour les civilisations anciennes, inspiré aussi par une citation de Nietzsche : « Il n’y a de résurrections que là où il y a des tombeaux »
Dans l'Antiquité, deux frères jumeaux d'une cité grecque sont séparés lors de l'attaque de leur convoi dans les confins de la steppe. L'un est fait prisonnier et tente de survivre dans un pays aux mœurs inconnus, tandis que l'autre brave les dangers pour rejoindre sa patrie perdue, animé par la soif de vengeance.
Cette formidable épopée se mêle au récit des aventures d'un pilleur de tombes en URSS au milieu du XXe siècle, qui fait par hasard une étrange découverte... La profanation à laquelle il se livre le conduira un court instant dans l'impossible espace temporel de deux mondes que deux mille cinq cent ans séparent.
Un ouvrage étonnant qui incite à réfléchir, par-delà le temps, aux relations entre sociétés différentes.
Marie-Jeanne Roulière-Lambert
T
Marc Lévy
Paris, Ed. Laffont 2007, (poche, Pocket, 2018, 384 p.)
Il s’agit d’un roman historique paru en 2007 au contenu très riche et qui possède une forte valeur pédagogique. Le style de l’auteur est dynamique, chronologique, clair et précis.
Marc Lévy s’est référé aux témoignages de son père et de son oncle, jeunes juifs résistants, dans les années 1940 à Toulouse (en zone dite libre). Puis, il a réalisé une recherche bibliographique très étoffée afin d’approfondir et élargir ses connaissances sur le sujet. Soulignons que le 29 septembre 2003, Charles Hernu, ministre, a rendu hommage, soit quarante ans après, à la Brigade 33 de la région de Toulouse dont dépendaient Raymond et Claude Lévy en soulignant l’efficacité et le comportement héroïque de ses membres.
Ces actions extrêmement courageuses et risquées comprenaient évidemment des démarches d’information vis-à-vis de la population (contre-propagande), d’observation, de repérage et de filature mais également des opérations de destruction de ponts, de voies ferrées ou de matériel (grues, trains, avions au sol) aux moyens d’explosifs. En outre, des exécutions au pistolet ou à la grenade de gradés allemands et de responsables miliciens venaient compléter le programme qui leur était imposé par leur hiérarchie.
On découvre les conditions de vie extrêmement dures de ces jeunes : clandestinité, solitude, froid, faim, insomnie et leurs sentiments parfois ambigus au cours de leur mission : peur de mourir, dépression passagère, colère et détermination, par exemple. On relève des compétences innées, de la créativité mais aussi de solides liens d’amitié entre résistants qui rendent plus forts et qui aident à garder espoir.
Cet ouvrage décrit les moments les plus sombres de leur existence, à savoir : les interrogatoires et tabassages dans les commissariats, la torture en prison, les décisions de justice expéditives, les techniques de mise à mort par fusillade ou guillotine sans oublier, pour certains, la déportation vers les camps d’extermination d’Allemagne. Les frères Lévy, quant à eux, ont réussi leur évasion du train qui les acheminait vers Dachau, en pleine campagne, au moment de l’arrivée des avions alliés anglais.
Au-delà des éléments descriptifs qui sont utiles à la connaissance des faits, j’ai apprécié la dimension réflexive de ce livre d’une grande humanité.
Chantal Thouverez
Andreï Kourkov
Paris, éd. Liana Levi, 2022, 440 p. (éd originale en russe 2019)
Quelque part au Dombas, à proximité de la ligne des combats, entre ukrainiens et pro-russes, un village abandonné de ses habitants où ne subsistent que deux hommes d’âges mûrs, un de chaque camp, copains d’école dans l’enfance. La situation, village sans eau courante, sans électricité, sans commerce, les oblige à nouer quelques contacts qui s’amélioreront au cours du temps.
La première partie du livre décrit, à la mauvaise saison, une vie de reclus. Sergueïtch, ukrainien est apiculteur et s’occupe de ses ruches. Avant le conflit, il avait développé une apithérapie, mais il n’a plus de clients…Il attend le réveil de sa raison de vivre, au printemps.
Dans la deuxième partie, avec le retour des beaux jours, il décide d’emmener ses 6 ruches dans des lieux plus calmes, laissant ses biens aux bons soins du dernier habitant du village. Il retrouve une vie plus humaine, vivant soit dans son véhicule au milieu de la nature soit pendant quelque temps chez une amie qu’il se fait dans un village.
A l’automne, il décide de rentrer chez lui, même si la situation n’a pas évolué.
Ce roman est composé d’ambiances très diverses, entre souvenirs et vie présente. Il n’y a guère d’actions, même si la guerre est toujours présente. Pourtant l’ouvrage se lit facilement.
Une leçon de vie des plus simples où le destin n’ouvre sur rien. Fatalité du temps rythmé par des abeilles, sur fond de conflit. L’ouvrage a reçu le prix Médicis étranger en 2022.
François Schifferdecker
Abel Quentin
Les Editions de l’Observatoire, Paris, 2021, 384 p.
Un professeur d’histoire arrivé à l’âge de la retraite après une carrière professionnelle sans éclat et une vie personnelle assez terne entreprend de mener à bien un projet d’écriture conçu dans sa jeunesse et abandonné depuis lors : la biographie d’un poète américain inconnu, réfugié en France à l’époque du maccarthysme et décédé prématurément dans un accident de voiture en 1960. Il en attend vaguement un retour d’estime de sa femme qui l’a quitté, et de sa fille aimante engagée dans les combats militants d’aujourd’hui.
La publication de cet ouvrage apparemment anodin et bien éloigné des controverses contemporaines va pourtant déclencher un cataclysme médiatique implacable et, pour son auteur, une descente aux enfers où il risque de tout perdre.
Un livre superbement écrit qui démonte avec une redoutable précision les rouages de la notoriété, de la réputation et de l’abomination à l’âge des réseaux. Une peinture acérée de certains aspects de la société contemporaine et de ses névroses, imprégnée d’un humour subtil et d’une ironie rafraîchissante.
René Lacroix
Patrick Deville
Paris, Le Seuil, 2024, 168 p.
Saint-Nazaire est un « roman sans fiction », Patrick Deville revient sur le territoire de sa naissance, Saint-Nazaire et ses environs. Il y a l’ancien lazaret de Mindin où l’auteur a passé son enfance ; il y a le pont en S suspendu à soixante mètres au-dessus des flots et dont il a vécu l’apparition et les effets sur la perception de l’espace ; il y a les chantiers navals où furent construits le Normandie, le France, et tant d’autres paquebots comme le Queen Mary 2.
On navigue entre le présent et la profondeur du temps, depuis la fondation du port en 1860 jusqu’à nos jours. De l’estuaire au lointain de l’Indochine.
Saint-Nazaire est la métaphore des rêves d’aventure, des départs, des exils, mais aussi un havre de paix et d’accueil face à la mer et ses forces parfois déchaînées.
Alain Tournier